vendredi 24 janvier 2014

#Complément d'information - cataracte verbale


Pourquoi toujours en parler ? 
(Je vous rassure, un jour je parlerais d'autre chose.)

• Parce que depuis que je suis haute comme trois pommes on m'a inculqué la peur du viol, et je ne parle pas de mon géniteur adoré.

• Parce que lorsque j'entends des rires masculins derrière moi, j'ai des sueurs froides, même en pleine journée.

• Parce qu'on m'a appris à avoir peur des rires masculins (et là je parle de mon père et de tous les autres).

• Parce que lorsque l'on me touche et que je ne vois pas le mouvement, je manque de faire un malaise tant la terreur m'assaille.

• Parce que j'ai failli décoller la tête d'une amie un jour qu'elle me saisissait l'épaule par derrière.

• Parce que pour moi, durant mon adolescence, la pire chose que j'ai dû subir, pire que les violences de mon père (qui avait arrêté de jouir en moi), c'était la queue du réfectoire, au collège, où les masses se pressaient indolemment en attendant leur tour et où je ne pouvais échapper à toute la chair collée contre moi. Inutile de dire quelle torture c'était - chaque femme et chaque homme à avoir été violés le sauront, les autres ne pourront jamais l'imaginer.

• Parce que lorsque j'étais en CM1, j'étais à côté d'un porc qui me harcelait sexuellement chaque jour du haut de son jeune âge et de sa quéquette pas encore chargée, qui me sussurait dans le creux de l'oreille, à chaque heure de cours "Tu me fais bander", et que jamais la prof n'a voulu me changer de place.

• Parce que lorsque j'étais en cinquième, des porcs se glissaient derrière moi dans les couloirs et me choppaient par surprise pour donner des coups de boutoir contre mon cul (imitation tout en finesse de la sodomie), et que ça me dégoûtait et me donnait envie de chialer mais que je trouvais ça normal.

• Parce qu'en troisième un porc me caressait la cuisse en cours, essayait de me toucher le sexe, n'éprouvant aucun scrupule à dire à moi et à d'autres que son but c'était de m'enfiler un doigt en plein cours et qu'il ne pigeait pas pourquoi je ne me laissais pas faire. Parce que ça me dégoûtait, me donnait envie de chialer, mais que je ne trouvais pas ça anormal.

• Parce qu'en troisième toujours, une amie avait été violée en soirée, alors qu’elle disait non mais était trop imbibée par l'alcool pour avoir la force de lutter physiquement, et que malgré tout ce que j'ai pu dire elle a refusé de porter plainte car des porcs lui avaient dit que ce n'était pas un viol.

• Parce que je ne devrais pas avoir à les appeler porcs ; ce sont des êtres humains et pas des animaux - ce serait les dédouaner ; ils savent ce qu'ils font, ils infligent la violence, la douleur, la mort (car le viol est un assassinat) sans aucun scrupule.

• Parce que je n'ai vécu qu'à peine trois années dont je ne me souviens pas avant de mourir ; que depuis je suis un cadavre qui parle, qui rit, qui se force à vivre.

• Parce qu'il a fallu attendre mes seize ans pour que je connaisse pour la première fois un vrai sourire et un rire spontané (cc Frenchnerd et merci, je vous dois la vie - je vais même faire un article sur vous où je vais grave vous lécher les bottes). Parce qu'aujourd'hui encore, mes sourires sont tordus, timides, petits, car mes rires sont discrets et que je ne sais pas montrer les dents. Car aujourd'hui encore sourire et rire est pour moi une nouveauté que je ne maîtrise pas et que ces rares, encore maintenant, expressions spontanées d'une vraie joie, n'arrivent pas souvent et me surprennent toujours.

• Parce que je suis vide la majorité du temps, vide depuis des temps immémoriaux et que c'est pour ça que je demande à m'emplir de tout ce qu'on peut avoir à me proposer (sauf du foutre, faut pas exagérer).

• Parce que cinq personnes se sont amusées à me violer, à me forcer sans aucune considération, et que vous savez quoi ? Je sais que ce n'est pas fini, que ce ne sera jamais fini. Je compte le temps qu'il me reste avant un nouveau viol. Vous vous rendez compte que la plus longue période durant laquelle je n'ai pas été violée a été cinq ans ? Que durant ce temps-là, je devais subir tous les jours un harcèlement sexuel conséquent et des attouchements ? Ça doit faire trois ans que je n'ai pas été violée. Il ne me reste que deux ans avant un nouveau viol, si j'ai de la chance. Imaginez-vous vivre avec cette pensée en tête en permanence.

• Parce que oui, et c'est une gonze qui a expérimenté toutes les sortes de viol (ou presque) qui vous le dit, les attouchements, les exhibitions, le harcèlement sexuel, c'est peut-être moins physique, moins meurtrier que quand un mec vient te foutre sa queue de force dans la chatte, mais c'est tout aussi horrible, tout aussi traumatisant.

• Parce que oui, un mec qui vient se branler à côté de toi, c'est ignoble, et que t'as beau avoir fait de la boxe et du karate pour empêcher ce genre de monstres de s'attaquer à toi, t'as beau avoir un putain de direct du droit capable de rendre la moitié du visage d'un quidam couleur aubergine et texture hachis parmentier, en cet instant tu n'es rien, rien que la petite fille effrayée qui avait peur des ombres qui dansaient sur les murs dans l'obscurité de ta chambre, car tu n'es plus qu'une boule de terreur primaire contre laquelle tu ne peux rien puisque c'est tout ce qu'il reste de toi.

• Parce que merde, c'est tous les jours que ça se passe, et qu'à chaque fois que je parle à une de mes amies proches je me demande si elle a été violée elle aussi, et que j'ai peur de la réponse car je me doute que pour la moitié d'entre elles la réponse sera oui.

• Parce que je veux un jour pouvoir rire en voyant deux gamines de douze ans chahuter sans que leurs yeux ne se ternissent de la crainte d'être moquées et que nous ne sommes pas les seules à connaître chaque jour.

Parce que je sais qu'il y aura tant d'autres "Parce que...", de moi, de quelqu'un d'autre, mais que j'aimerais que ça ne soit pas le cas.

vendredi 17 janvier 2014

#Article déconstruit aléatoire premier du nom.

• Il y a peu, il y a eu cette polémique autour d'une culotte. Rappel des faits ; Carole Quintaine a osé poster en ligne des photos de culottes ma foi assez géniales (je compte d'ailleurs offrir à Hadh celle avec les champis) ornées de motifs sur le thème du JV. Aussitôt, tonitruantes indignations : Mais quelle allumeuse ! Elle ose dire "Venez voir mes petites culottes", quelle dévergondée ! Ouuuuh !

(La personnalité de Quintaine n'entre aucunement en ligne de compte. Pour rappel ; je ne connais pas son travail. Je ne connais pas la personne, même si elle ne m'a pas semblé être un modèle de maturité. Et de plus elle a légèrement chié sur les féministes qui avaient accouru l'aider. Mais c'est la réaction à l'action que je critique, pas les acteurs de cette situation.)

J'ai été atterrée. Un débat sain ? Que nenni. Un débat, ne serait-ce qu'un débat ? Que nenni non plus, mais j'aurais bien aimé voir ça, même entre féministes et sexistes. Là, c'était d'un côté des bordées d'injures, d'un autre côté une légitime montrée au créneau des féministes de tous poils sur Twitter principalement (où un tweet de Quintaine a mis le feu aux poudres), et derrière il y avait les conspirationnistes et ces fameux fétichistes du "Vous exagérez...". Bravo les mecs (et les meufs, faut pas généraliser), vous m'avez convaincu. Mais du bien-fondé de la cause féministe en fait.

J'avais pas trop envie de m'y engager avant. Pas assez de temps, principalement, je suis une bosseuse.

(Et au passage, je JOUIS sur ces petites culottes tellement elles sont BANDANTES.
Insultez-moi, maintenant.)

• Sur un autre sujet pas si éloigné, évoquons le viol.
(Bah oui, je pense à un truc, je le note.)

Je ne vais pas faire un exposé sur "le viol, c'est mal" et la culture du viol, ça a déjà été fait par d'autres personnes bien plus qualifiées et douées que moi.

Je vais juste exposer quelques faits appuyés de statistiques, car rien ne m'énervera jamais plus que ceux qui pensent que ça n'arrive qu'aux autres, mais genre très loin d'eux, que personne dans leur entourage n'a connu ça et que ça montre bien que ce sont des actes isolés commis par des malades mentaux bossus, titubants, bavant, et si possible homosexuels/noirs.

(Oui, parce que quand on est homosexuel, on hait forcément les femmes, donc on les viole. Logiiiique. Et quand on est homophobe, il n'y a qu'un pas à faire pour devenir complètement raciste, donc c'est des noirs. Logiiiique².)

Un fait : Une femme sur 10 a subi ou subira un viol au cours de sa vie.
Vous êtes une femme ? Bonne chance.

Mettons que vous êtes une personne relativement sociale et que vous connaissez de près ou de loin une centaine de femmes (j'en connais plus, et je suis assez asociale, voyez donc ces moyennes comme des moyennes très basses). Dix d'entre elles ont été ou se feront violer.

Une statistique-cadeau : 57% des personnes violées étaient mineures.

Mettons que, vous qui me lisez, connaissez principalement des femmes de votre âge et au-dessus (en espérant que vous n'avez pas douze ans). Par conséquent, on peut penser que sur ces dix femmes, six ont déjà été violées, et quatre le seront.

Voilà, vous connaissez six femmes violées.
Démolissons maintenant le cliché du Quasimodo de la Cour des Miracles un peu teubé qui agresse une femme dans une ruelle sombre parce qu'il est cinglé/attardé.

Encore des stats parce que j'aime bien ça, ça frappe, parfois à mauvais escient mais bon :

Env. 75% des victimes connaissent leur agresseur.
25% des victimes sont agressées par un membre de leur famille.

Plus précisément ?
Sur les six femmes que vous connaissez, quatre ou cinq connaissent leur agresseur.
Sur celles-là, il y en a une qui a été violée par un père, un frère, un oncle, un cousin.

Mettons que vous n'êtes pas assez proche de ces quatre ou cinq femmes pour connaître leur entourage.
Dites-vous qu'il y a quand même de grandes chances que vous connaissiez les violeurs de deux de ces femmes. C'est peut-être le beau-père à qui vous avez serré la main, un ami commun avec qui vous riiez hier encore en parlant de cul.

Voilà.
Vous connaissez six femmes violées. Vous connaissez deux de leurs violeurs.
Et sans doute plus.

Un cas isolé ? Vraiment ?

On estime qu'il n'y aurait qu'un viol sur dix de déclaré. En tout, 2% condamnés aux assises. Les autres sont minimisés, requalifiés d'agression sexuelle, pour pouvoir être traités plus aisément, sans scandale, ou tout simplement passent à la trappe par manque d'élément. Et ça arrive terriblement souvent.

Env. 90% des violeurs sont parfaitement sains d'esprit. Les fausses accusations sont extrêmement rares, de l'ordre de 2 à 10%.

Mais le viol est un cas isolé, quelque chose qui n'arriverait pas si les femmes se respectaient, s'habillaient normalement (en nonnes ? Et après vous vous plaignez du voile, mais au contraire, c'est parfait pour éviter d'être violées par Quasimodo dans une ruelle, BOUFFONS) et ne sortaient pas le soir (j'dis ça j'dis rien mais vous feriez quoi en boîte de nuit si les femmes restaient chez elles, ABRUTIS).

BIEN SÛR.

Je suis donc une allumeuse. C'est vrai quoi, si à trois ans mon père m'a utilisé comme sex-toy, c'est que j'étais déjà une salope sexy. Et quand j'ai été violée dans un parc à douze ans, c'est que je portais une jupe courte et qu'on était le soir.
(Il était dix heures du matin max, et à l'époque je ne me maquillais pas, j'avais des problèmes d'acné et de cheveux gras pelliculés et je me cachais sous des vêtements d'homme en 44.)

C'est pas moi l'exception. Ce que j'ai vécu, c'est la norme.
Pour compléter, je vais citer un commentaire que j'ai posté sur le blog d'une jeune idiote.

« Non, nous n’avons pas à nous surveiller à chaque seconde pour éviter de se faire insulter ou agresser. Non, nous n’avons pas à assumer la responsabilité des débordements de personnes ayant manifestement des problèmes. Non, nous ne sommes pas et ne serons jamais coupables d’avoir provoqué ça ! Ces personnes n’ont pas besoin d’une photo dénudée ou d’une jupe trop courte. Comme l’a dit la jeune femme qui se fait insulter au début de l’article (et c’est là que ça devient intéressant de lire l’article ET les commentaires, parce que quand j’en vois qui disent "Oh là là, c’est bon, c’est entre sœurs, elle déconnait" alors que c’est précisé que ladite sœur est une CONNASSE qui vise à blesser sciemment, ça me débecte), je disais donc comme elle l’a dit dans les commentaires (que vous devriez lire), sa sœur la moquait auparavant au sujet de sa chasteté (si je puis dire). Ce genre de personnes trouveront TOUJOURS un truc à critiquer, à insulter. 
Vous vivez dans quel monde ? C’est pareil avec les violeurs. Non, ce n’est pas à cause d’une jupe courte qu’un violeur viole, sinon les personnes qui s’habillent avec des vêtements larges, et les gamines qui vont faire l’école buissonnière dans un parc public ne se feraient pas violer. Ils s’attaquent à la faiblesse, pas à ce qui est attirant. 
Les insultes sont le problème des insulteurs, pas des insultés. Les insultés n’auront jamais à changer leur comportement sous prétexte que c’est la cause de leur ostracisation ou toute autre violence. Ce sont aux insulteurs de changer, de devenir respectueux. 
Une photo à poil, et encore moins une photo aussi peu sexuelle que celle de son amie, ne devrait jamais provoquer ce déferlement de haine destructrice. 
Et je le rappelle pour ceux qui ne l’auraient pas intégré (si quelqu’un lit ces commentaires à part moi, car je me demande…) : une photo de nu n’est pas une invitation, n’est pas vulgaire. Pas plus que du rouge à lèvres d’ailleurs. Ca ne vous donne le droit de rien sinon de passer votre chemin ou d’être poli en adressant vos doléances, merci. »
Bonne journée, bisous.

jeudi 16 janvier 2014

C'est la présentation la plus crade du monde.

J'étais une jolie petite fille de trois ans, blonde comme les blés, vraiment ravissante. J'allais avoir une petite sœur. C'est mon plus vieux souvenir : ma mère menacée au couteau par mon père, et moi, toute petite fille de trois ans, qui allais la consoler dans sa chambre, me serrant contre son ventre tout rond alors qu'elle pleurait. 

 Welcome to the jungle. 

 C'était assez annonciateur du futur. 
Ma sœur est née. Elle était moche comme un cul, toute plissée, braillant à pleins poumons ; un bébé, quoi. Mais c'était ma sœur. 
Ma mère était très belle. Elle avait près de quarante ans quand je suis née, mais c'était une des plus belles femmes que je connaisse (et je juge objectivement d'après photos). Aujourd'hui, à cause du stress, elle est devenue le parfait cliché de la grand-mamie gâteau, toute ronde et d'épais cheveux blancs. Mais bon Dieu, qu'elle était belle, avant, quand elle commençait tout juste à être malheureuse. 
Pourtant, mon père l'a délaissée. Je ne sais pas pourquoi. J'avais trois ans, je m'en serais totalement foutu s'il n'avait décidé que sa fille ferait une meilleure amante que sa compagne.  
J'ai été la maîtresse de mon père. 

Voilà comment la majorité des gens le voit. Comme si ce n'était pas si grave. 'C'est ton père, pas un inconnu, ç'aurait pu être pire, en plus t'étais gamine, tu t'en souviens presque plus, et puis merde, arrête de faire chier, y a des choses plus graves dans la vie !' Des choses pires que ça et qui pourraient m'arriver ? 'Ouais, tu pourrais être en fauteuil roul-oui, bon, mauvaise pioche, okay. Tu pourrais avoir un bras en moins !' Je préférerais, en effet. 

Et je suis très gentille. Car c'est souvent pire que ça. 

Je ne pouvais pas protester. J'étais toute petite. J'aimais mon père. Et c'est douloureux ; est-ce que je l'aime encore ? Est-ce que je n'ai jamais cessé de l'aimer ? Ai-je effacé de mon cœur tout sentiment pour lui ? Je n'ai toujours pas tranché. 

Il avait autorité sur moi. C'était mon Dieu tout-puissant. 

Quand j'ai grandi, à cinq ans, six ans, ou peut-être déjà à quatre ans, il a commencé à menacer ma sœur. Hé oui, on y arrive. Ma petite sœur, dont je m'occupais chaque jour avec ferveur, alors que ma mère était occupée à gérer les animaux, à faire le ménage, à gagner de l'argent, et que mon père était occupé à glander devant la télé, à se bâfrer, à boire et à se droguer. Toutes les qualités mon cher papa. Ma toute petite sœur adorée. Et je ne devais pas dire ça à maman, que c'était de ma faute et qu'elle ne m'aimerait plus, de toute manière elle préférait ta sœur, et ainsi de suite. J'avais tellement peur pour elle. Je savais viscéralement que ma mère ne m'en aimerait pas moins. Mais je lui en voulais de ne rien voir. Comme cette fois où je lui ai dit que c'était irrité, là en bas, qu'elle a regardé et m'a donné de la crème. Oh oui, je lui en ai voulu. 
De toutes les raisons et menaces, la seule qui ait eu raison de moi est celle de faire profiter ma sœur de son savoir. 
(Appelons-la Jane.) 
J'étais si jeune, déjà immensément loyale. Diantre, pauvre de moi. 

Il n'y a jamais eu pénétration. Pas avec son sexe. Il bandait mou à cause de la drogue. Il a essayé pourtant. Et longtemps, ce cauchemar m'a poursuivi : ma mère et Jane mettaient nos affaires dans la voiture, et derrière un paravent, dans la cour, mon père me violait encore et encore. Me pénétrait de son sexe si douloureux. A huit ans, je suis tombée sur un livre pornographique. J'avais déjà commencé à occulter - malgré le rêve - mais tout ce qui était décrit avec précision dans cette horreur m'était parfaitement accessible. Chaque position, chaque mot technique. Horrifiant, non ? 
Il me forçait à mettre son sexe mollasse en bouche ; il me caressait, me forçait à le caresser, m'enfilait ses doigts dans ma petite chatte glabre d'enfançonne. Selon la loi, même s'il n'y a pas pénétration de son sexe dans le mien, c'est bien un viol. 

Quatre ans. Ça a duré quatre ans, à raison de deux fois par semaine, ai-je calculé ; et croyez-moi, j'ai réduit de moitié. Au minimum quatre-cent vingt viols. Sans aucun doute plus. Imaginez-vous vous faire violer près de cinq-cent fois par votre père. Enfant, innocent, protégeant votre toute petite sœur. Sans comprendre, sans accepter, culpabilisant, comprenant. 

"C'est ma faute, j'ai donné envie à papa en me baladant torse-nu devant lui." 

"C'est ma faute, si je n'étais pas aussi jolie, papa voudrait pas venir avec moi." 

"C'est ma faute, parce que..." 

Imaginez. Douleur, trahison, imaginez tous ces sentiments que l'on peut ressentir. Et la honte. 
Lorsqu'il me touchait, je m'anesthésiais, je me déconnectais, le regard rivé sur un des pavés de pierre rouge de sa chambre, à côté du lit ; un chien avait marché dedans et laissé son empreinte, et j'y plongeais, encore, encore, pendant cinq-cent enfers. 
(Appelons-moi Sarah.) 

Ma mère a finalement foutu le camp. Avec nous deux. J'ai occulté, doucement. J'étais plutôt d'accord avec mon esprit pour oublier tout ça. Mon père a porté plainte pour enlèvement. J'ai touché ma sœur. On m'a enlevé à ma mère. Mise en famille d'accueil. J'ai touché le gamin. 
Je savais, confusément que c'était mal. Je me retenais. Et puis, alors que nous jouions à la balançoire, avec Jane, une phrase ; "Jane deviendra ronde mais sera toujours belle. Sarah restera fine mais restera laide." 
Perdu. Je suis pulpeuse et belle. Ceci dit, ma sœur aussi, ils avaient à moitié raison. 
J'avais, quoi, neuf ans ? Je l'ai touché. Parce que je ne savais plus ce qui était bien ou mal. Parce que j'avais terriblement mal, que je me sentais trahie, que je voulais leur faire connaître ce que c'était. Parce que je voulais me détruire. 

Lorsqu'ils ont compris, on m'a frappée, insultée, conspuée, humiliée. Traitée comme une violeuse, une putain. C'est ce que j'étais, une violeuse ; mais j'avais neuf ans et j'avais été violée par mon papa. Personne ne savait. Mais une gamine de neuf ans ne touche pas un mioche de cinq ans pour s'éclater et parce que ses amies lui ont dit que c'était génial. D'ailleurs je n'avais pas d'amis. Ma meilleure amie était morte deux ans plus tôt. A cause de la maltraitance et de la négligence de son propre père. Qui se ressemble s'assemble. 

'On t'a déjà foutu une baffe. Alors je ne le ferais pas. Mais je n'en pense pas moins ; espèce de petite traînée, sale petit monstre.'
(Une des personnes les stupides que j'ai rencontré. A cet âge-là j'étais plus cultivée que lui. Il ne faisait même pas partie de la famille.) 

Une nana est venue me demander pourquoi j'avais fait ça. Quelque chose a failli se débloquer en moi et me submerger, mes souvenirs. Mais j'ai refoulé, prenant peur devant ce qui me parvenait, et j'ai répondu que c'était parce qu'ils ne m'aimaient pas. Elle m'a démontré par A+B que j'avais tort puis est partie, disant à la femme au passage : 
'C'est bon, vous pouvez l'autoriser à se baigner à nouveau dans votre piscine'
Je m'en foutais de la piscine. Je voulais lui dire que quelque chose remuait en moi, me faisait mal, que quelque chose m'était arrivé et que c'était la cause de ces attouchements licencieux. Et puis j'ai entendu ça et j'ai rentré ce qui remuait, je l'ai assommé et enfermé au fond du placard, et j'ai remplacé la douleur par la haine. 

Puis on m'a annoncée, après plusieurs semaines de calvaire, d'insultes et d'humiliations, que j'allais être envoyée en foyer. Me voyant éclater en sanglots la femme s'empressa de me consoler en me disant que ce n'était pas de ma faute, que ce n'était pas à cause de ce que j'avais fait. 

Et ta sœur. 

Hier encore tu m'humiliais et me punissais parce que ton abruti de petit-fils avait passé sa tête par la porte de la voiture alors que je m'apprêtais à la refermer. Et ce alors que la portière de l'autre côté, là où il était assis, était ouverte. 

Le foyer. Ah, le foyer... Humiliations là aussi étaient de mise, de la part d'éducateurs qui avaient du mal à accepter le fait que j'aie plus de vocabulaire qu'eux. De la part de ma sœur, aussi, qui envoyait les autres enfants me maltraiter. Elle devait me rendre responsable de la situation, après tout, c'est moi qui l'avais élevée. 
A dix ans, mes éducateurs ont tenté de me faire déclarer autiste ou attardée (savent même pas faire la distinction, abrutis, va). Un test de Q.I. s'est imposé ; surdouée. Dans votre cul. Cette anecdote est heureuse, mais cette période, qui a duré jusqu'à mes quatorze ans, est parsemée d'épreuves et de souvenirs dans la même veine. Paradoxalement la plus heureuse ma vie. Ce qui en dit long lorsque l'on sait qu'à dix ans, j'avais déjà voulu me tuer et commencé une grave dépression qui ne s'est arrêtée qu'à mes vingt ans. 
A douze ans, je sèche les cours, vais me réfugier dans un parc. Devinez quoi ? Un violeur. 
Je commençais à avoir l'habitude. Déjà au foyer ça baisait dans tous les sens et j'avais été pas mal harcelée. Il se pose à côté de moi, tête nue. Je ne fais pas le lien avec le motard casqué que j'ai surpris en train de m'espionner quand je suis allée pisser. Il parle, nous avons été dans le même collège, eu la même peau de vache comme prof d'anglais. Je suis tranquille. Sa main commence à se balader sur ma cuisse, je la vire. Elle remonte sur mon bras. Je me sens nerveuse. J'essaie de partir. Il me retient, me balance par terre, fourre son phallus dans ma bouche, me viole, partout. Je suis terriblement choquée, pétrifiée, je ne peux plus bouger, hurler, supplier, plus rien faire, esprit déconnecté du corps, et des images me reviennent de mon enfance qui ne sont pas belles. 
Il me suit lorsque je rentre. Il plaisante avec moi, dit qu'il va demander une tente à un pote et qu'on va dormir tous les deux dans le parc. Moi, endormie, anesthésiée, j'entretiens des fantasmes dans lesquels je vais vers le commissariat, entre, et le désigne pour qu'ils l'attrapent. Je ne sais pas où est ledit commissariat. Alors je rentre, je m'allonge sur mon lit et m'endors. 

Le temps passe. J'ai quatorze ans, quinze ans, je couche avec des garçons, majeurs, en échange d'affection. Je suis persuadée que ça marche comme ça. Une forme de prostitution, un viol personnel. 
Je vis chez mon père. Des années à dire qu'il nous maltraitait, nous insultait, nous humiliait et nous rabaissait sans cesse à un juge des enfants pour ça. Le reste... Je commence à me souvenir mais je ne peux pas. L'avocate de mon géniteur est venue me dire que si je ne demandais pas à retourner chez lui, Jane y serait envoyée...seule. 
Me dévouant encore pour une gamine qui me déteste et me fait balancer dans les poubelles par ses potes, je me sacrifie, naïve. Il ne m'a plus jamais touchée, persuadé que je suis totalement amnésique de mon enfance. Il le claironne partout. En prévention du moment où je me souviendrais. Il ignore que c'est déjà fait. 

Je me scarifie depuis trois ans. Il prenait des objets et les glissait sous nos vêtements, au supermarché. Si on se faisait prendre, c'était notre faute. Nous qui volions. 'Une déplorable habitude prise de leur mère'. Ses mains sur ma peau... Les souvenirs remontent, je prends ma lame pour réussir à me taire. Pas brillant. 
Mes bras sont couverts de traits blancs. 

A seize ans, je tente de tuer mon père. Une de mes meilleures amies a tenté de mourir. Elle est dans le coma. Joyeux Noël. 
Fallait pas venir m'insulter comme d'habitude, c'était une fois de trop. 
Elle s'est réveillé neuf mois plus tard. Une renaissance. 

J'ai dix-sept ans. Je me prostitue toujours pour de l'affection qui ne vient jamais. Amoureuse et dévouée comme un chien fidèle au premier à en profiter, celui qui m'a officiellement déniaisée, je suis effondrée lorsqu'il me largue une énième fois. Je bois. Ivre morte, pour la première fois de ma vie, à deux doigts du coma éthylique, deux de ses potes me baisent. Ils s'amusent à me cramer les doigts de pied au briquet en bonus, vérifient si leur lampe à lave rentre dans mon vagin. Cool. Je bois pour oublier. Deux autres viols à deux. Je suis stupide, vraiment. 

J'ai dix-huit ans, je crois. Je vis avec un mec que j'aime sincèrement. Il devait m'aider à me reconstruire. Il avait l'air gentil, je suis emballée. 
Un soir, je m'évanouis, chez ses parents. Dans sa chambre. Il me viole, voit que je ne me suis pas réveillée, descend dîner avec sa famille. 

'Sarah se sent pas bien.'

Tu m'étonnes. Si je n'avais pas senti cette douleur lancinante que je connais bien, cette vieille amie, je n'aurais jamais rien su. Il m'a tout déballé sans aucune honte, lorsque je lui ai dit. J'avais tellement peur que ce soit son père - j'ai toujours eu un problème avec les pères. 
C'est pire. 
Surtout que j'ai un enfant avec lui. Depuis mon anniversaire, je suis en fauteuil roulant. Il finit par me dégager, garde mon fils, mon petit garçon, dont je m'occupais toutes les nuits, tous les jours. Je ne pouvais rien faire. 
Tentative de suicide - encore une. 

Je pars chez ma mère, si vieille, si seule, si triste. Elle vient d'apprendre ce que mon père m'a fait.
Avec mon ex, j'ai porté plainte contre mon père. J'avais demandé à l'enquêtrice de ne pas déclencher les manœuvres tout de suite, que ma sœur soit à l'abri. Encore et toujours. Quand je voulais ajouter des pièces ou quoi, mon ex me laissait sur le trottoir en face, entrait, ressortait au bout de quelques minutes et me disait qu'elle n'était pas là. 
Au final, j'ai appris qu'elle n'avait jamais été demandée par lui. Il restait lire un prospectus ou deux avant de ressortir. 

Chez ma mère, je suis retournée au comico, me disant qu'elle avait dû être classée. Jamais envoyée. Comme j'avais demandé... 
Je fais ma déposition, toujours plus éprouvante - j'en ai encore les cicatrices, des brûlures laissées par mes ongles qui grattaient frénétiquement. Arrivée à la maison, on me rappelle. Quelqu'un au téléphone, un homme, avec un ton rogue, désagréable, cruel, qui m'insulte presque, me dit en filigrane que je ne suis qu'une de ces connasses qui leur font perdre leur temps. 

'Vous avez déjà porté plainte là-bas ! 
- Oui, mais j'avais demandé de ne pas... 
- Elle a été classée sans suite, vous le saviez ! Pourquoi reporter plainte ? 
- Non, je ne savais pas, je... 
- Un courrier vous a été envoyé, ne mentez pas !'

 A l'adresse de mon ex, petit malin ? Il n'allait sûrement pas me prévenir. 

Je me mets à pleurer, ça devient presque hystérique, je n'en peux plus, je souffre trop, et puis ça. Ma mère prend le téléphone et règle la question alors que je me laisse emporter dans un tourbillon de haine diffuse, principalement contre moi-même, de douleur, d'absence totale d'espoir. 

Elle avait envoyé la plainte, ne m'avait pas écoutée. Elle avait raison. On a interrogé mon père. Ma petite sœur. Je suis terriblement blessée qu'elle ne me l'ait pas dit. Pas ma mère. Pas mes éducateurs, pas mon dossier d'enfant placée qui en aurait dit long. Pas ma demi-sœur, quinze ans plus vieille que moi, avec qui je n'ai jamais habité, qui dormait toute habillée tant elle avait peur de notre père. Tiens donc. 
Au placard. 
Pour la suivante, j'ai le droit à une évaluation psychologique qui détermine que je ne mens pas. Cool. 
Depuis je n'ai aucune nouvelle. Deux ans. Je n'appelle pas car je ne veux pas qu'on me dise qu'elle aussi est passée à la trappe. Je préfère me dire qu'elle existe toujours quelque part. 
On n'a pas réinterrogé ma sœur. Toujours pas ma mère. 
Dix ans à dire que notre père était une pourriture, toujours placée chez lui. Deux plaintes, un calvaire, rien. 
Ma sœur est chez lui, toujours. 

Lorsque j'étais enfant, un ami de ma mère qui est riche et influent a fait son enquête. Casier judiciaire apparemment chargé. Mon géniteur a tenté de tuer son frère. A prostitué ses deux sœurs. 

Alors pourquoi ? 

J'ai voulu porter plainte contre mon ex. Je ne l'avais pas fait avant, pas le courage, et puis c'était si habituel pour moi. Comme je l'ai dit aux flics, après ce que mon père m'a fait ce n'était rien. Mais j'ai quand même été traumatisée en profondeur par cette trahison. Et puis il y avait Hugo. Je ne voulais pas qu'il se dise, plus grand, 'mon père est un violeur'. 
On m'a accueilli avec hargne, au comico. 'Pourquoi vous n'avez rien dit la première fois ?' On m'a clairement fait comprendre qu'on commençait à me prendre pour une mythomane, ou que c'est que je le cherchais, quelque part, et pourquoi n'ai-je pas dit ça quand je suis venue porter plainte contre mon père ? 

'Vous en avez encore d'autres des histoires comme ça ?'
Oui, quatre, connard. 
Je n'en ai jamais parlé de celles-là. 

Pourquoi, hein ? 

J'ai cherché des témoignages, j'ai découvert que beaucoup de personnes se doutaient de ce que me faisait mon père. Pas une n'a parlé. 

Pourquoi, bordel ?! 

Aujourd'hui, je suis toujours frigide, traumatisée, peureuse, je ressens toujours chaque acte sexuel comme un viol. Je me force pour faire plaisir, pour ne pas être seule. Je n'ai pas revu mon fils. Je m'en sors bien. Mon ultime tentative de suicide a mis fin à ma dépression par quelque curieux mécanisme. Mais je ne suis pas heureuse. Jamais. 

Jamais... 
On n'oublie pas. Plus que la douleur, la honte. Plus que la honte, l'injustice.